RAIC Journal: Une bibliothèque à coeur ouvert

Marie-Pier Bourret-Lafleur
Premier prix francophone, Concours Jeune Critique MAQ en architecture
First Prize in French, MAQ Young Architectural Critic Competition
Dans « Reinventing the Library », publié dans le New York Times du 23 octobre dernier, l’écrivain canadien Alberto Manguel appelait à un retour à la centralité du livre, qu’il voit s’amenuiser dans les bibliothèques. Autrefois symboles de l’identité sociale et dépositaires de la mémoire collective, ces lieux de savoir sont voués à perdre peu à peu ces fonctions, selon lui.
Pourtant, de récentes constructions, comme la bibliothèque Marc-Favreau de l’arrondissement Rosemont — La Petite-Patrie à Montréal, montrent qu’un autre aspect mérite d’être érigé en point central de ces établissements : l’être humain qui les fréquente. C’en est fini de la lecture comme activité solitaire et des interdictions qui pesaient sur l’usager : on peut y parler, manger et boire un café. Cette vocation sociale se reflète dans les grands axes qui ont guidé l’élaboration de la bibliothèque, inaugurée le 7 décembre 2013 : la famille, les nouvelles technologies, le design et le développement durable.
On est en effet bien loin des rangées vertigineuses et poussiéreuses quand on pénètre le bâtiment lumineux conçu par Gilles Prud’homme, de la firme Dan Hanganu, dont le projet a été sélectionné à l’unanimité par le jury, à l’issue d’un concours lancé en juillet 2009. Au contraire d’une boite hermétique qui garderait jalousement ses secrets, la bibliothèque Marc-Favreau appelle l’environnement extérieur à l’intérieur par son espace dégagé qui encourage la circulation de l’un à l’autre. Sise au confluent du boulevard Rosemont, de la rue de Saint Vallier, d’une ligne de métro et de pistes cyclables, elle se démarque par son accessibilité.

Dans ce carrefour encore dominé par le gris de l’asphalte et du béton, la structure en L de la bibliothèque Marc-Favreau brille par son alliage de transparence et de blancheur opaline, meme la nuit quand des DEL s’animent pour flatter sa façade. L’édifice contraste avec l’ancien bâtiment de briques auquel il se greffe, même s’il l’égale en hauteur. Évoquant les vêtements de Sol, le plus célèbre personnage du comédien Marc Favreau, les motifs translucides sur les panneaux de verre de la façade ouest répondent aux losanges formés par les meneaux qui se croisent au sud et à l’est. C’est à l’étage que l’on a le plus agréable point de vue, assis dans un petit fauteuil du solarium — un cube de verre prolongeant le bâtiment, judicieusement appelé « Le cristal », les pieds posés devant le foyer central. Il s’agit d’une force du projet de Gilles Prud’homme : permettre de profiter, depuis l’intérieur, des éléments qui rythment l’enveloppe de la bibliothèque. La plupart des cloisons sont faites de verre, ajourées ou encore serties de miroirs, et le regard du visiteur n’est que rarement bloqué. La bibliothèque crée ainsi un lien fluide entre les aires et, du même coup, entre ses usagers.
Ceux-ci y trouvent d’ailleurs une variété d’ambiances. L’alternance d’un revêtement métallique argenté et du verre en longues bandes verticales laisse le choix entre une portion plus ou moins ombragée du comptoir, le long du mur ouest de l’étage. Les étudiants qui ont trimbalé leurs ordinateurs sont ravis de se réfugier dans un coin sombre. En plus d’une salle dynamisée par des planchers orange vif (la seule où le silence est suggéré), les nombreuses tables et salles de réunion laissent place aux séances de travail, tant en solitaire qu’en équipe, et viennent pardonner les quelques erreurs d’ergonomie (il s’avère par exemple impossible de loger confortablement ses jambes sous certains comptoirs).

On s’active davantage au rez-de-chaussée, où sont groupés l’accueil, l’espace café et la section dédiée aux enfants. Les grandes portes coulissantes de l’entrée principale s’ouvrent sur des rayons de livres de hauteur décroissante qui s’adaptent à la taille du jeune public auquel ils sont destinés, tout comme les postes de recherché de cette pièce appelée « Le coffre ». Par sa polyvalence, la bibliothèque Marc-Favreau se modèle à ses usagers, mais leur offre aussi les possibilités des technologies récentes. La bibliothèque possède notamment un système de prêt automatisé et permet l’accès à plusieurs logiciels et outils de référence. Cette préoccupation pour les citoyens et leur futur se traduit finalement par l’orientation verte de la bibliothèque, qui vise une certification LEED Argent. Le bois, omniprésent, est issu d’un approvisionnement écoresponsable. Au rez-de-chaussée, une paroi de lierre grimpant sépare les rayonnages des postes informatiques. En traversant l’espace café, on atteint enfin une terrasse extérieure nichée dans l’angle formé par le bâtiment. Si le carré de dalles manque de charme, c’est que la terrasse fera partie d’un ensemble plus grand, le parc Luc-Durand, qui attend toujours ses 80 arbres. Dans ce parc nommé en l’honneur de celui qui incarnait Gobelet, l’acolyte de Sol, l’aspect fédérateur de la bibliothèque de Rosemont continuera de se déployer. Les habitants du quartier pourront s’y regrouper autour d’une patinoire d’improvisation extérieure, la première au Québec, pour assister à un match ou en disputer un.
La bibliothèque Marc-Favreau sort pour ainsi dire de ses murs. En plus de la structure fluide et ouverte de son bâtiment, elle s’ancre dans son milieu et dans la vie tout court : plus qu’un sanctuaire dédié aux livres, elle veut entrer dans le quotidien de ses usagers. Nous aurons d’ailleurs presque réussi à oublier les 112 000 documents de la collection, car ce qui gravite autour d’eux a visiblement reçu plus d’attention au moment de la conception, comme le dénonçait Alberto Manguel. Il est vrai que les bibliothèques risquent plus d’être abandonnées par leurs lecteurs que par leurs livres. À moins qu’ils ne s’évaporent tous dans le nuage, les bouquins, eux, resteront là, sagement alignés sous leur rassurante forme matérielle. Il est sans doute astucieux d’avoir misé sur le contenant pour séduire les usagers, car, semble se demander la bibliothèque Marc-Favreau, que deviendraient les livres sans leurs lecteurs?